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# La Souveraineté technologique, Vol. 1
## Avant
* [Introduction](content/01introduction.md)
* [Préface](content/02preface.md)
* [Souveraineté technologique](content/03st.md)
## Les pré-requis: Systèmes d'exploitation, internet, serveurs et hardware libre!
* [Logiciel libre](content/04logiciel-libre.md)
* [Internet libre](content/05internet-libre.md)
* [Hardware libre](content/06hardware-libre.md)
* [Serveurs autonomes](content/07serveurs-autonomes.md)
## Terrains d'expérimentation
* [Moteurs de recherche](content/08moteurs-de-recherche.md)
* [Bibliothèques publiques digitales](content/09bibliotheques-publiques-digitales.md)
* [Réseaux sociaux décentralisés](content/10reseaux-sociaux-decentralises.md)
* [Contournement](content/11contournement.md)
* [Cryptomonnaies](content/12cryptomonnaies.md)
* [Exploration spatiale](content/13exploration-spatiale.md)
## Espaces pour l'expérimentation
* [Hacklabs](content/14hacklabs.md)
* [Fablabs](content/15fablabs.md)
* [Biolabs](content/16biolabs.md)
* * *
* [Contributions + remerciements](content/17contributions-et-remerciments.md)
* [Épilogue](content/18epilogue.md)

9
fr/book.json Normal file
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@ -0,0 +1,9 @@
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"title": "La Souveraineté technologique",
"description": "Dossier Ritimo",
"author": "ed. Alex Haché",
"language": "fr",
"pdf": {
"paperSize": "a5"
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}

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# Introduction
***Alex Haché***
Au moment même où j'écris, l'électricité qui alimente mon ordinateur
Frankenstein, mille fois opéré et ramené à la vie, se coupe, ce qui contraint
l'onduleur à émettre de petits bips. Tout cela contribue à l'impression que
j'ai de vivre dans un vaisseau spatial et cela me rappelle combien nos
infrastructures peuvent être précaires. Tout comme l'a déclaré Eleanor Saitta
[^1], il est plus que probable qu'elles nous fassent défaut ou qu'elles nous
mènent à notre perte, avant toute chose.
L'absence de planification et de résilience sont causées par une maintenance
des infrastructures « publiques » de plus en plus précaire. Des jeux politiques
décidés par des personnes dont les vies s'avèrent être plus courtes que les
infrastructures qu'elles gèrent. Des pressions et des trafics d'influence pour
être réélu et obtenir des postes de confiance. Corruption systématique. La
distance entre les institutions et les citoyens, le public privatisé, les
communs vandalisés et mis à sac. Les infrastructures technologiques, sociales
et politiques sur lesquelles nos styles de vie sont assis, sont elles de plus
en plus complexe. De ce fait, il se pourrait que les équipes à la tête de la
cybernétique de contrôle de ces infrastructures se montrent incapables de
détecter les règles et de distinguer à quel moment les digues de la Nouvelle
Orléans cèderont, les réseaux électriques créeront des black-out complets, les
centrales nucléaires seront infectées à cause du Stuxnet [^2], ou le système
financier global s'effondrera avec fracas.
Dans ma propre communauté, mon point d'encrage dans ce monde en perpétuel
changement, les choses vont à vau-l'eau une fois sur deux. Parfois,
l'électricité ne fonctionne plus, le projet de gestion intégrale de l'eau
stagne, le facteur humain s'amuse à renverser notre stabilité tant
convoitée. Il existe de grandes similitudes entre ce que nous tentons de mener
à bien de manière autonome avec nos infrastructures de base (eau, électricité,
toilettes, cuisine et Internet), et ce qui se passe dans de nombreux autres
endroits semi urbanisés dans cette gigantesque « planet of slums » [^3] que
devient notre planète. Nous oscillons entre la consommation insensée et non
durable des ressources naturelles et technologiques et la construction d'une
société basée sur la décroissance, les communs et la justice sociale. Un
changement qui implique de relever de nombreux défis à la fois : développer et
maintenir les infrastructures, rendre les institutions des biens communaux
durables, repenser les normes sociales et la manière dont il convient d'y
réfléchir comme un tout.
Peut-être que ce dossier n'apportera pas de solutions à ces thèmes « macros »,
mais il aura le mérite d'avoir proposé des alternatives à la compréhension de
la question technologique. Il s'agit de la partie dans laquelle se
reconstruisent les choses à notre manière étant donné que, comme le déclarait
Gibson, « *la rue trouve toujours sa propre application des choses* » [^4]. La
souveraineté technologique nous renvoie à la contribution que chacune de nous
apporte au développement de technologies, en sauvant nos imaginaires radicaux,
en récupérant notre histoire et nos mémoires collectives, en nous resituant
pour pouvoir rêver et souhaiter, ensemble, la construction ici et maintenant
de nos infrastructures propres liées à l'information, à la communication et à
l'expression.
[^1]: Conférence au 27c3 “Your infrastructure will kill you” et interview Lelacoders disponible (en anglais): https://www.youtube.com/watch?v=G-qU6_Q_GCc • https://vimeo.com/66504687
[^2]: https://fr.wikipedia.org/wiki/Stuxnet
[^3]: Mike Davis: Planet of Slums (2007).
[^4]: Willian Gibson: Burning Chrome (1982).

172
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# Préface
***Patrice Riemens***
## La souveraineté technologique, une nécessité, un défi.
Qui n'a pas encore compris, après 'Snowden' et ses révélations, que
notre cher 'cyberespace' n'est plus au mains de ses utilisatrices, et
cela hélas, depuis longtemps, mais qu'il constitue une zone fortement
surveillée et à haut risques. L'utilisatrice, apparemment libre de ses
mouvements et pourvue d'innombrables facilités - souvent
« gratuitement » - est devenu en fait un sujet captif qui tient en même
temps de l'otage, du cobaye et du suspect.
La mainmise sur l'Internet par les pouvoirs étatiques ou commerciaux,
ou, le plus souvent, une association des deux, semble totale, et elle
l'est effectivement là où les vecteurs et les plateformes sont
'propriétaires', c'est à dire en possession d'acteurs qui mettront leurs
propres intérêts en avant, souvent aux dépens de ceux de leurs
utilisatrices. Alors que l'impact d'Internet dans nos vies devient de
plus en plus fort[^1^](#sdfootnote1sym){.sdfootnoteanc}, une prise de
conscience qui poserait de manière plus insistante les questions
suivantes devient aussi urgente: Comment et, surtout pour qui, Internet
fonctionne-t-il?.
Heureusement, cette prise de conscience existe et elle a commencée bien
avant le déploiement de l'Internet. Mais son incidence reste limitée,
car elle reste encore le fait d'un nombre relativement restreint de
personnes et de groupes, et aussi parce qu'elle rencontre de fortes
offensives de la part des pouvoirs établis autrement puissants. Son
porte-drapeau, si l'on peut dire, est le logiciel libre, et ses nombreux
dérivés. Non seulement en tant que technique, mais surtout pour l'idéal
qu'il représente: prise de conscience, prise en mains propres
autonomie et souveraineté. Car attention: tout n'est pas technologie et
la technologie n'est pas tout!
Il est essentiel de voir la souveraineté technologique dans un contexte
bien plus étendu que la technologie informatique, ou bien même que la
technologie tout court. Faire abstraction de l'ensemble de crises
environnementales, politiques, économiques, sociales imbriquées les unes
aux autres[^2^](#sdfootnote2sym){.sdfootnoteanc}, ou encore chercher à
les résoudre isolément ou dans leur ensemble par la seule technologie se
constituent comme autant d'options aberrantes. Il est d'ores et déjà
clair que la souveraineté technologique en elle-même ne nous détournera
pas de notre inexorable course ... vers le mur.
Il est impossible de continuer sur la voie de la croissance tout azimuts
telle qu'elle a été poursuivie jusqu'à présent. Un arrêt sur place,
voire même une décroissance volontaire, s'impose, faute de quoi elle
s'imposera d'elle-même, et dans des conditions certainement plus
déplaisantes. C'est donc aussi depuis cette perspective qu'il nous
faudra juger les diverses solutions proposées pour (re)conquérir cette
autonomie individuelle et collective que nous avons largement perdue, ou
pire, déléguée au profit d'acteurs économiques et politiques qui veulent
nous faire croire qu'ils n'ont que nos intérêts en tête et que leurs
mobiles sont bienveillants, honnêtes, et légitimes.
Malheureusement les TIC, et leurs développ_eurs - car encore
majoritairement masculins - ont encore une fâcheuse tendance à
travailler en vase clos, sans tenir compte de leur dépendance de la
multitude de rapports humains et de ressources naturelles qui font le
monde et la société. "Nous devons ré-inventer le réseau" déclarait Tim
Pritlove, animateur du 30ème congrès du Chaos Computer Club, dans son
discours d'ouverture[^3^](#sdfootnote3sym){.sdfootnoteanc} tenu fin
décembre 2013. Pour ajouter devant une foule d'activistes et de hackers
enthousiastes: "Et c'est vous qui pouvez le faire!". En soi, il a raison
sur les deux fronts, mais s'arrêter là peux aussi signifier la croyance
en une 'suprématie des nerds[^4^](#sdfootnote4sym){.sdfootnoteanc}' qui
ne miserait que sur des solutions purement technologiques.
Il ne fait aucun doute qu'il est devenu essentiel de remettre le réseau
à plat afin qu'il serve les intérêts du commun et non celui de groupes
exclusifs et oppresseurs. Donc oui à la ré-invention, mais pas de
n'importe quelle façon. Car il faut aller bien au delà des solutions du
type 'technological fix' (rafistolage) qui se limitent à s'attaquer aux
effets et non à leurs causes. Une approche dialectique - et dialogique -
s'impose afin de développer sur une base communautaire et participative,
les technologies qui permettent à leurs utilisatrices de s'affranchir de
la dépendance envers les fournisseurs commerciaux, ainsi que du flicage
généralisé opéré par les pouvoirs étatiques obnubilés par le désir de
surveiller et de punir. Mais en quoi consiste alors cette souveraineté
technologique telle que nous pouvons la souhaiter et espérons
construire?
Une option possible serait d'entamer notre démarche à partir de la
souveraineté qui opère dans notre propre sphère de vie par rapport aux
pouvoirs qui essayent de nous dominer. Un début de souveraineté pourrait
être interprété par exemple comme 'le droit d'être laissé
tranquille'.[^5^](#sdfootnote5sym){.sdfootnoteanc} Hors, nous savons que
ce droit est systématiquement lésé dans le domaine des ('nouvelles')
technologies de l'information de la communication.
Le présent ouvrage essaye d'établir un état des lieux concernant les
initiatives, les méthodes et les moyens non-propriétaires et
préférablement auto-gérés qui peuvent sauvegarder autant que possible
notre 'sphère de vie'. Serveurs autonomes, réseaux décentralisés,
cryptage, pairage, monnaies alternatives virtuelles, partage des
savoirs, lieux de rencontres et de travail co-opératifs, se constituent
comme un vaste éventail de chantiers déjà en route vers la souveraineté
technologique. A noter que l'efficacité de ces alternatives dépends
fortement de leurs pratique(s) et celles ci devraient être traversées
par les dimensions suivantes:
**Temporalité.** 'Prendre son temps' est essentiel. Il faut s'affranchir
du toujours plus, toujours plus vite, le miroir aux alouettes de la
technologie commerciale. Il faut s'attendre à ce que les technologies
'souveraines' soient plus lentes et peut être moins performantes mais
cela ne doit pas pour autant signifier une perte de notre plaisir.
**'Nous'.** Les technologies 'souveraines' seront ouvertes,
participatives, égalitaires, communautaires et co-operatives, ou elles
ne seront pas. Elles développent des mécanismes de gouvernance
horizontale souvent entre des parties prenantes très variées. La
clôture, les hiérarchies (souvent présentée comme 'méritocratie') et
l'individualisme égoïste leurs sont fatales. La distinction entre
'expertes' et 'utilisatrices' doit s'estomper autant que faisable.
**Responsabilité.** La réalisation de la souveraineté exige beaucoup de
celles qui y adhèrent. En développant et en déployant les outils, chaque
membre du collectif doit prendre ses responsabilités. La fameuse règle
du 'Qui fait quoi? Où? Quand? Comment? Combien? Et
pourquoi?'[^6^](#sdfootnote6sym){.sdfootnoteanc} s'impose, ainsi que
l'obligation d'y répondre adéquatement à tout moment.
**Une économie basée sur l'échange**. Le principe 'c'est gratuit, donc
c'est toi le produit' caractérise les services 'offerts' par les majors
de l'Internet. Les initiatives citoyennes quant à elles, se voient le
plus souvent refoulées dans 'l'économie du don', sous la forme de
volontariats plus ou moins forcés. Il faudra donc trouver des modèles
qui rémunèrent honnêtement les 'travailleuses de l'immatériel' tout en
faisant acquitter leur juste dû aux utilisatrices.
**Écologie et environnement.** Une technologie de souveraineté est,
évidement, respectueuse de l'environnement et économe de ressources non
ou difficilement renouvelables[^7^](#sdfootnote7sym){.sdfootnoteanc}.
Peu de personnes se rendent compte à quel point l'informatique est
vorace d'énergie et de matières premières diverses, ainsi que des
conditions, souvent déplorables, dans lesquelles celles ci sont
extraites, ou dans lesquelles se déroule leur fabrication.
Ainsi on aura compris qu'il existe de nombreuses limites auxquelles
peuvent être confrontées les technologies de souveraineté et qu'il
n'existe pas de voie royale vers celle ci. Et même si on y arrive,
l'utopie risque de ne pas être au rendez-vous. Ceci n'est pas toutefois
une invitation à baisser les bras, bien au contraire. C'est la modestie
et la lucidité qui jointe à la réflexion déplacent les montagnes. C'est
à vous, chère lectrice d'entamer la votre afin de définir votre
orientation, et vous y engager sans ingénuité, ni appréhension non plus.
Et qui sait, ensuite, si avec un enthousiasme indéfectible et
contagieux.
------------------------------------------------------------------------
**Patrice Riemens:** Géographe, activiste culturel et défenseur du
logiciel libre, membre du groupe hacker néerlandais Hippies from Hell.
------------------------------------------------------------------------
[^1]: Comme l'écrivait récemment l'essayiste allemand Sascha Lobo « il n'y a, en Allemagne, que deux sortes de gens: ceux dont la vie a été transformée par l'Internet, et ceux qui ne se rendent pas compte que leur vie a été transformée par l'Internet. » http://bit.ly/1h1bDy1
[^2]: Ce que philosophe français Paul Virilio appelle « l'accident intégral ».
[^3]: https://tinyurl.com/n8fcsbb
[^4]: https://fr.wikipedia.org/wiki/Nerd
[^5]: Aux Etats-Unis, ce concept du « right to be left alone », est conçu comme le fondement du droit à la privauté individuelle (« privacy »), cf. Warren & Brandeis: The Right to Privacy (1890). http://en.wikipedia.org/wiki/The_Right_to_Privacy_(article) • Mais attention, cette 'souveraineté dans sa propre sphère de vie', également theorétisée à peu près à la même époque aux Pays-Bas par le politicien calviniste Abraham Kuyper, a eu un vilain petit avatar: l'Apartheid Sud-Africaine…
[^6]: http://fr.wikipedia.org/wiki/QQOQCCP
[^7]: Fairphone, le portable 'equitable' peut représenter un premier pas dans ce sens dans le domaine de la téléphonie mobile. http://www.fairphone.com/

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@ -0,0 +1,538 @@
# La Souveraineté technologique
***Alex Haché***
J'ai commencé à me pencher sur le concept de la Souveraineté
technologique (ST) suite à un entretien avec Margarita Padilla qui a
ébranlé ma conception du technopolitique, et des motivations et
aspirations derrière son développement. Ce texte définit ce que
j'entends par ST, il décrit certains points communs concernant les
initiatives qui contribuent à son développement, et nous mène à nous
questionner sur leur importance, chaque fois plus stratégique dans la
bataille qui se joue contre le mercantilisme, la surveillance globale et
la trivialisation des infrastructures de communication. Le texte
présente également certaines des limites et des défis spécifiques que
doivent relever ces alternatives dû à leur nature et objectifs
particuliers.
Un premier élément de la problématique ébauchée par la ST concerne la rareté
des technologies libres. Comme le déclare Padilla: *"Ces projets alternatifs
que nous développons, nécessitent une contribution. Il existe donc un décalage
et aujourd'hui, nous n'avons pas les ressources libres nécessaires à tous ceux
qui utilisent les ressources télématiques. Il n'y a pas assez de ressource
libre disponible et de ce point de vue, nous avons totalement perdu la
souveraineté. Nous utilisons les outils 2.0 comme s'ils étaient des dieux,
comme s'ils étaient éternels, mais pour le bien ou pour le mal ils sont entre
les mains d'entreprises qui peuvent s'écrouler"* [^1] Concernant ces outils
que nous utilisons de façon de plus en plus omniprésente, nous nous sommes
demandés comment il était possible de déléguer avec autant de facilité notre
identité électronique et son impact sur nos vies quotidiennes, à des
multinationales multimillionnaires, cauchemars kafkaïens: *"Nous n'en sommes
pas capables, car nous ne leur donnons aucune valeur. Sur le terrain
alimentaire, ce serait la même chose, à la seule différence que les groupes
d'autoconsommation s'organisent entre eux pour avoir un contact direct avec
leurs fournisseurs.* *Alors pourquoi les gens ne s'organisent pas pour avoir
leurs fournisseurs technologiques, en achetant directement le support
technologique nécessaire à leur vie, tout comme ils achèteraient leurs
carottes?"*
Pour les personnes dont l'activisme réside dans le développement de
technologies libres, il résulte (souvent) important d'arriver à
convaincre leurs propres amis, famille, collègues, ainsi que les
collectifs auxquels ils appartiennent, de l'importance de donner de la
valeur aux alternatives libres. Outre le caractère souvent altruiste de
leurs objectifs, elles doivent également penser à des manières
inclusives, pédagogiques et novatrices pour convaincre. Par exemple, en
ce qui concerne la question précédemment posée sur la valeur que nous
donnons à qui produit et maintient les technologies dont nous avons
besoin, il convient de faire une analogie entre la ST et la souveraineté
alimentaire.
Le concept de souveraineté alimentaire fût introduit en 1996 par Via Campesina
[^2] lors du Sommet Mondial de l'Alimentation et de l'Agriculture. Une
déclaration ultérieure (Mali, 2007) la définit comme telle:
*"La souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une
alimentation saine et culturellement appropriée produite avec des
méthodes durables et écologiques, et le droit des peuples de définir
leurs propres systèmes agricoles et alimentaires. Elle place au cœur
des systèmes politiques et alimentaires les aspirations, les besoins et
les moyens de subsistance de ceux qui produisent, distribuent et
consomment des aliments, plutôt que les exigences des marchés et des
entreprises multinationales. Elle défend les intérêts des futures
générations. Elle nous offre une stratégie pour résister et démanteler
le commerce libre et corporatif et le régime alimentaire actuel, et pour
canaliser les systèmes alimentaires, agricoles, d'élevage et de pêche
pour qu'ils soient gérés par les productrices et les producteurs locaux.
La souveraineté alimentaire donne la priorité aux économies locales et
aux marchés locaux et nationaux, et donne pouvoir aux paysans et à
l'agriculture familiale, à la pêche artisanale et à l'élevage
traditionnel, et place la production alimentaire, la distribution et la
consommation sur la base de la durabilité environnementale, sociale et
économique. La souveraineté alimentaire promeut le commerce transparent,
garantissant des revenus dignes pour tous les peuples, et les droits des
consommateurs à contrôler leur propre alimentation et nutrition. Elle
garantit que les droits d'accès et de gestion de notre terre, de nos
territoires, de nos eaux, de nos semences, de notre bétail et de la
biodiversité soient placés entre les mains de ceux qui produisent les
aliments. La souveraineté alimentaire suppose de nouveaux rapports
sociaux sans oppression et inégalités entre les hommes et les femmes,
les peuples, les groupes raciaux, les classes sociales et les
générations."* [^3]
La souveraineté alimentaire rend la notion de ST plus compréhensible.
Dans cette déclaration, il serait aisé de remplacer le mot "alimentaire"
par "technologie" et "agriculteurs et paysans" par "développeurs de
technologies". Alors, si cette idée peut être racontée, cela signifie
également qu'elle peut germer dans l'imaginaire social pour y produire
un effet radical et transformateur. D'autres lignes de fuites permettant
de penser la ST nous mènent à nous demander: Quelles facultés et envies
nous reste-t-il pour rêver nos propres technologies? Et pourquoi
avons-nous oublié le rôle crucial de la société civile dans la
conception de certaines des technologies les plus importantes de notre
histoire récente?
Nous définissons la société civile comme l'ensemble de citoyennes et
collectifs dont les actions individuelles et collectives ne sont pas avant
tout motivées par l'attrait du gain, mais par la volonté de répondre à des
désirs et à des besoins tout en développant en même temps une transformation
sociale et politique. Insistons sur le fait que la société civile et les
technologies de l'information et de la communication (TIC) forment un duo
dynamique. Pour pouvoir neutraliser certaines contingences propres aux
mouvements sociaux comme le paradoxe de l'action collective [^4], les
structures politiques défavorables ou la rare mobilisation de ressources, la
société civile a toujours développé des utilisations tactiques des TIC et des
moyens de communication et d'expression en général. Comme par exemple: faire
campagne pour mettre en évidence les luttes, les actions, les alternatives;
collecter des fonds et développer des mécanismes pour impliquer des
volontaires et des participants (impact et base sociale plus importants) ;
étayer les processus pour créer une mémoire collective; faciliter le transfert
des connaissances et permettre à toutes l'accès à l'information; améliorer
l'administration et l'organisation interne du collectif; établir des canaux
d'interaction, développer la transparence et l'interaction avec les
institutions et les autres agents; fournir des services et des solutions aux
utilisateurs finaux, etc. Ces utilisations et développements tactiques des
technologies se croisent parfois avec des dynamiques d'innovation sociale et
intelligence collective comme peuvent l'être les coopératives, les
bibliothèques publiques, les microcrédits ou les systèmes alternatifs
d'échange de ressources.
De plus, la société civile ne s'est jamais limitée à l'utilisation
passive d'outils technologiques développés par d'autres, à savoir, des
hommes blancs, riches et souvent sociopathes appelés Bill Gates, Steve
Jobs ou Marc Zuckerberg; mais elle a toujours contribué à la conception
de ses propres outils, sous la forme de radios et télévisions
communautaires, le lancement en orbite du premier satellite non
militaire [^5],le premier portail de
publication ouvert et anonyme, la libération de la cryptographie, ou
encore l'invention du logiciel et les licences libres.
Toutefois, tout ce que nous faisons aujourd'hui dans le cyberespace,
avec un téléphone portable ou une carte de crédit, de plus en plus
fréquemment et de manière plus persuasive, transforme nos identités
électronique et sociale. Cette infinité de données compose notre graphe
social dont l'analyse révèle quasi tout sur nous et les personnes avec
lesquelles nous interagissons. Mais nous ne savons toujours pas ce qui
nous manque pour prendre conscience de l'importance de pouvoir compter
sur nos propres fournisseurs de technologies libres: Avons-nous besoin
d'une hécatombe technologique comme la fermeture de Google et de tous
ses services? Ou suffit-il de savoir que Microsoft, Yahoo, Google,
Facebook, YouTube, AOL, Skype et Apple sont de mèche avec le Service
National de la Sécurité Américain pour nous épier le programme PRISM
pour changer nos habitudes?
Plus préoccupantes peut être ont été les voix qui se sont élevées après
le printemps arabe, demandant que Facebook et Twitter soient considérés
comme des "droits de l'Homme". Une cause mobilisant une horde de click
activistes dont la plupart ont fini par oublier ce qu'ils demandaient
une heure auparavant. Les centres commerciaux d'Internet ne peuvent se
transformer en des espaces publics, ni en des institutions pour les
communs, étant donné que leur nature, architecture et idéologie sont
profondément anti-démocratiques.
Pour neutraliser ces dynamiques, nous avons besoin d'une multitude
d'initiatives, de coopératives, d'entreprises et de collectifs informels
qui fournissent les technologies qui nous manquent et dont la conception
nous garantit qu'elles ne sont pas là pour développer notre
individualisme ou limiter nos libertés, sinon pour garantir nos droits
en matière d'expression, de coopération, de privacité et d'anonymat. Si
nous souhaitons que les technologies prennent en considération ces
garanties, il nous faudra les construire ou leur donner de la valeur, en
contribuant à leur développement. Tout comme le soulignait le collectif
hacktiviste Autistici/Inventati: *"Libertés et droits? Tu dois te
battre pour eux, sur Internet aussi"* [^6].
### 404 not found Veuillez nous excuser, nous créons des mondes!
La ST traite de technologies développées depuis et pour la société
civile, ainsi les initiatives qui la compose créent des alternatives aux
technologies commerciales et/ou militaires. Ses actions tentent de s'en
tenir à des impératifs de responsabilité sociale, de transparence et
d'interactivité, les degrés de confiance dont elles peuvent faire
l'objet sont donc renforcés. Elles se basent sur des logiciels, du
hardware ou des licences libres parce qu'elles les utilisent ou les
développent (les deux dynamiques coïncidant souvent), mais leurs
caractéristiques vont au-delà de cette contribution. En d'autres termes,
faire partie du monde libre et/ou ouvert ne signifie pas forcément faire
partie du panorama de la ST.
Partant d'une approche critique des technologies, ces initiatives étudient
également la façon dont nous nous mettons en rapport, interagissons et
consommons les Technologies de l'Information et de la Communication
(TIC). Elles cherchent à comprendre comment il est possible d'affronter les
coûts écologiques et sociaux qui retombent sur les centres d'extraction et de
production, ainsi que la façon dont on peut démanteler l'obsolescence
programmée [^7] et élargir le plus possible la vie utile et l'efficacité de
toute technologie, produit ou service. Dans une certaine mesure, elles
cherchent aussi à faire face **au fétichisme technologique**, défini par le
collectif Wu Wing comme ces discours et pratiques:
“*où quotidiennement, nous mettons uniquement l'accent sur les pratiques
libératrices qui agissent sur le réseau, en les décrivant comme la
règle, et implicitement les pratiques de subordination sont considérées
comme des exceptions: le réseau utilisé pour exploiter et sous-payer le
travail intellectuel ; pour surveiller et enfermer les personnes (voir
ce qui est arrivé après les* *émeutes* *londoniennes) ; pour imposer de
nouveaux idoles et totems en alimentant de nouveaux conformismes ; pour
transmettre l'idéologie dominante ; pour les échanges du capitalisme
financier qui nous détruit. Il est possible que nous soyons complètement
fichus, mais pas fichus et contents de l'être. L'injustice se poursuit,
mais pas l'insulte de nous croire libres dans des domaines dans lesquels
nous sommes exploités" [^8].
**Cette critique du fétichisme technologique a également été mise en avant pas
des collectifs comme Ippolita [^9], Planète Laboratoire [^10], Bureau d'études
[^11], Tiqqun [^12] et également par des collectifs hacktivistes qui
garantissent des outils libres. Tous participent à l'effort de repenser les
ontologies et les paradigmes hérités de la cybernétique, en mettant en relief
que les contextes, les motivations et les moyens utilisés pour développer les
technologies importent et déterminent leur impact social, économique et
politique. Même si la relation de causalité peut être difficile à prouver, il
est plus important de comprendre qu'il n'existe pas de technologies neutres.
Elles sont toutes des déclarations d'intention avec des conséquences
variées. Combien voulons-nous en englober, supporter ou refuser sont des
décisions qui nous appartiennent en tant qu'êtres communicationnels?
Penser la ST, c'est aussi rechercher sous quel type de processus sociaux
apparaissent les technologies et comment certaines amplifient nos degrés
d'autonomie. Comment passe t'on de la production d'une technologie à une
technologie appropriée ou peut être même, ré-appropriée? Chacune de nous
est experte de sa propre relation avec les technologies. Nous pouvons
donc, à ce titre, nous amuser à les analyser pour les réinventer. Les
technologies quotidiennes, avec leurs processus de résolution des
problèmes du quotidien ou des dispositifs plus complexes qui exigent une
conception et une maintenance pour atteindre leurs buts. Les
technologies polyvalentes qui proposent plusieurs fonctionnalités, des
technologies numériques venues du cyberespace, mais aussi des
technologies du genre et de la subjectivité. Nous pouvons également les
définir ou les réduire à certains de leurs aspects, comme le fait
qu'elles soient "usables" ou le fait qu'elles requièrent une implication
et une attention particulière pour leur fonctionnement.
### La technopolitique de la ST
Le développement même des initiatives de ST suscite une transformation sociale
à travers la responsabilisation de leurs participants. Que ce soit grâce à des
méthodologies de développement participatif qui unissent le "fais-le toi-même"
et le "faites-le conjointement" ou grâce à des modèles qui misent sur le
coopérativisme, le troc, l'échange p2p et autres expressions d'économie
sociale. Comme le souligne Padilla dans son texte intitulé: "*Que pense le
marché?*" [^13], l'importance de la ST réside également dans les boucles
virtuoses qui se créent lorsque l'on parie sur ces formes de production, de
travail, de redistribution des ressources. Il ne s'agit pas seulement
d'initiatives, d'entreprises ou de coopératives qui cherchent leur modèle
d'activité, mais de formes d'expérimentation qui cherchent à devenir durables
pour continuer à inventer de nouveaux mondes.
Jusqu'à maintenant, nous avons fait référence à ces initiatives d'une manière
quelque peu abstraite, en cherchant des points communs qui les différencient
d'autres projets semblables [^14]. Un autre aspect important différenciateur
de ces alternatives réside dans le type de technopolitique qu'elles
hébergent. Celle-ci se compose d'éléments idéologiques, de normes sociales et
de relations personnelles. Faire de la technopolitique implique de mettre en
rapport les technologies et l'activisme, et de mettre en commun de la
meilleure façon possible les ressources disponibles (matériels, connaissances,
expériences) ainsi que les objectifs et les pratiques politiques. Des réglages
plus ou moins solides peuvent être effectués dans la mesure du possible à
chaque niveau. Parfois, les objectifs politiques sont très désirables, mais
les gens sont en désaccord, ou ils sont d'accord, mais n'arrivent pas à mettre
en commun les ressources qu'il leur manque pour mener à bien leur action. Et
parfois aussi, tout fonctionne et il se produit ce mélange parfait entre les
bonnes idées et les pratiques politiques, entre une foule de nœuds et une
mobilisation de ressources efficace. La technopolitique est une recherche
perpétuelle de ces réglages entre les personnes, les ressources et la
politique.
La table ronde qui s'est tenue à Amsterdam en 2012 pour l'événement Unlike Us
[^15] évoquait les problèmes auxquels doivent faire face les réseaux libres
décentralisés et soulignait que les initiatives de ST partageaient entre elles
certains bugs [^16] redondants. Des circonstances qui se répètent et réduisent
leur durabilité, résilience ou scalabilité. Plusieurs des problématiques
exposées ont trait avec le fait d'être des collectifs de transformation
sociale et politique avec leurs propres idéologies et pratiques politiques.
Il existe par exemple, au sein de nombreuses initiatives de ST, un désir
évident de mettre en pratique l'éthique hacker. Nous nous référons ici à
une attitude de défiance et méfiance envers les instances du pouvoir et
les hiérarchies, ajoutée à l'attitude de mettre la main à la pâte, au
désir de partager, et à la recherche de plus d'ouverture, de
décentralisation et de liberté pour améliorer le monde. Un autre élément
politique en découlant réside dans l'amélioration de ce qui existe déjà
(par exemple: code, documentation, recherches). Toutefois et pour
différents motifs, comme l'absence d'efficacité des archives et des
langages sémantiques qui rendent difficiles nos recherches, ou l'absence
d'effort pour étayer ce qui est fait, de nombreux projets de
technologies libres optent pour partir de zéro. Dans cette réinvention
constante de la roue, les ego personnels entrent également en jeu ainsi
que le fait de croire que l'on fera les choses mieux que les autres.
Ici, des outils et des méthodologies plus efficaces viennent à manquer,
ainsi qu'une plus grande prise de conscience collective sur le fait
d'accorder plus de temps à la recherche et à la documentation de ce que
l'on fait, pour pouvoir mettre en commun et favoriser la collaboration
collective.
D'autre part, de nombreuses initiatives de ST naissent de collectifs
informels et réduits. Que ce soit parce qu'ils exigent certaines
connaissances techniques, et des envies d'apprendre sur des thèmes qui
ne se révèlent pas encore vraiment intéressants pour une grande partie
de la citoyenneté, que ce soit parce que les marges entre le dedans et
le dehors et la consommation/utilisation, le passif/actif peuvent
apparaître comme assez flous. Le caractère informel et l'expérimentation
ne sont pas en eux-mêmes ni bons ni mauvais, ce sont des façons de faire
afin de mettre en place des actions collectives. Mais il faut avoir
conscience du fait que ce n'est pas parce qu'on adopte des méthodes de
décision par consensus et que l'on tend à une certaine horizontalité
qu'un collectif rompt totalement avec les rapports de pouvoir et les
privilèges. Tout collectif les affronte à des niveaux d'intensité
variables dans le temps. L'essayiste féministe Jo Freeman a élaboré des
théories sur cette “tyrannie de l'absence de structures” en expliquant
que ce soi-disant vide vient souvent accompagné d'un "*leadership
informel, non reconnu et inexplicable qui est pernicieux, car sa propre
existence lui a été niée*" [^17].
Il est donc important de prendre conscience des rôles et des tâches exercées
par les participants du projet, et voir la façon dont ces derniers
s'auto-responsabilisent. Le terme technopolitique signale la nécessité d'un
équilibre entre les connaissances sociales et politiques, la programmation,
l'administration, la divulgation et la création de synergies N-1 [^18]. Un
collectif technopolitique qui valorise le travail et les contributions de
toutes les parties, et qui est conscient des relations de pouvoir qui le
traversent, a possiblement plus de chance de perdurer.
Plusieurs projets relatifs à l'Internet libre et à sa re-décentralisation
semblent montrer des similitudes avec les principes de la théorie anarchiste
comme l'autogestion, l'assembleisme, l'autonomie, mais aussi la création de
cercles de confiance et la fédération des compétences. Dans son livre intitulé
"*Anarchisme social ou Anarchisme comme style de vie*", Murray Bookchin
souligne deux grandes 'écoles': "*L'anarchisme un corps extrêmement
oecuménique d'idées antiautoritaires s'est développé autour d'une tension
entre deux tendances basiquement opposées: un compromis personnel avec
l'autonomie individuelle et un compromis collectif avec la liberté
sociale. Ces tendances ne se sont jamais harmonisées dans l'histoire de la
pensée libertaire. De fait, pour de nombreux hommes du siècle passé, elles
coexistent simplement dans l'anarchisme comme une croyance maximaliste qui
articule le type de nouvelle société qui devait être créé à sa place*" [^19].
Concernant l'application de principes anarchistes dans des projets
technopolitiques, nous pouvons penser, d'une part, que la liberté
individuelle de chacune de nous est plus importante que tout le reste,
que chacune devrait faire seulement ce qu'elle souhaite en laissant le
collectif suivre un développement organique. D'autre part, les
anarchistes du domaine social pensent que la liberté individuelle ne
s'acquiert que si nous sommes toutes plus libres, et cherche à créer des
communautés (physiques ou cyber) où l'on pense et où l'on auto-organise
l'effort entre toutes pour atteindre cette autonomie et cette liberté.
Ce second modèle exige d'établir des canaux pour l'auto-organisation et
de reconnaître que si personne n'aime nettoyer les toilettes, il faudra
bien trouver un moyen de le faire entre toutes.
### La biopolitique de la ST
Les projets de ST sont mis en place par des personnes qui forment des
communautés complexes. Une grande partie du travail développé s'effectue
à distance. Que ce soit parce qu'il s'agit d'un travail volontaire
réalisé de l'endroit le plus commode pour chacune, par nomadisme ou du
fait de ne pas avoir ou de ne pas vouloir un espace physique défini, ou
simplement parce qu'il s'agit de projets qui sont exécutés pour et
depuis Internet. Toutefois, il convient de savoir utiliser de manière
adéquate les canaux de communication choisis par le collectif pour
obtenir des niveaux minimaux d'interactivité, de participation,
d'ouverture et de documentation de la connaissance générée.
La coopération, à distance ou en face à face, est imprégnée de bruit et
de malentendus. Elle exige une certaine net-étiquette, de
l'autodiscipline et une capacité à appliquer entre toutes une ligne
directrice simple mais souvent inatteignable: "Faire ce que l'on dit et
dire ce que l'on fait." Cela signifie d'une part apprendre à gérer ses
énergies et d'autre part être conscient de ses propres motivations, de
ses envies d'apprendre tout comme de ses limites. Souvent, certaines
personnes veulent trop assumer et sont ensuite débordées. La situation
peut empirer si, outre cela, elles n'avertissent personne du fait
qu'elles ne vont pas pouvoir faire telle chose, empêchant ainsi le
collectif de trouver une solution.
D'autre part, nous pouvons également finir par limiter une personne à un
ensemble de tâches qui lui conviennent, mais qu'elle n'apprécie pas
forcément. L'exemple typique serait la recherche de subventions, la
paperasse administrative ou se charger des relations publiques. Il est
important que le collectif soit conscient de ce que chacune aime faire,
ce qu'elle est disposée à assumer pour la cause et identifier ces
lourdes tâches que personne ne souhaite faire mais qui sont nécessaires
à la durabilité du projet. Ainsi, nous pouvons tenir compte de ces
tâches souvent "invisibles" par manque de "glamour ou d'intérêt."
Si le travail volontaire est synonyme de passion, d'autonomie et
d'indépendance, il est également synonyme de précarité. Elle peut être
externe et imposée par la société capitaliste patriarcale, mais elle
peut être aussi de notre responsabilité, une auto-précarisation. Toutes
deux produisent des personnes usées par l'activisme et l'action
politique. Il est donc important de savoir détecter ces phénomènes et
aider à les réguler de manière collective. Bien que nous partions
souvent, en tant qu'activistes, de certains consensus minimaux
concernant nos objectifs politiques et la façon de les atteindre, il
peut résulter plus difficile d'assumer des niveaux de soins minimaux, y
compris sentir de l'empathie pour les conditions particulières de chacun
(Bonne santé, confort, bonne connexion, amour?). Les critères de
bien-être peuvent être multiples et nous ne pouvons pas tout savoir,
mais ce qu'il nous faut savoir, c'est qu'ils donnent forment,
encouragent ou annulent la capacité transformatrice de notre initiative.
Il faut être activiste pour le bien commun, mais sans négliger son
propre bien-être. Pour ne pas retomber dans le paradigme de
l'efficacité, de l'excellence et du sacrifice à l'éthique du travail, la
somme de nos degrés de bonheur est sans nul doute un indicateur de notre
potentiel révolutionnaire.
Au sein de ces communautés complexes, la membrane qui sépare les
participantes instigatrices des utilisatrices passives est souvent fine
et aléatoire. Tout comme les mécanismes de participation dans la culture
libre ont établi, chacune peut passer de la simple utilisatrice qui
consomme une ressource à une participante qui gère son autogestion et sa
durabilité. Nous pouvons simplement lire les contenus Wikipedia ou nous
pouvons également éditer ses contenus en faisant en sorte d'augmenter
culturellement et socialement son carnet de contributeurs. Il existe
bien sûr différents degrés de contribution possibles, depuis la notation
de la qualité des entrées, la réalisation d'un don économique ponctuel,
jusqu'à l'édition de nouvelles entrées. Chaque projet de ST possède ses
canaux de participation qui ne sont pas toujours simples à trouver.
De nombreuses initiatives de ST voient le jour grâce à un groupe de personnes
motivé par la création d'une ressource qui répond à certains de ses besoins
[^20], mais à un moment donné de son cycle de vie, il peut croître et intégrer
d'autres personnes. Même si les objectifs politiques et les bénéfices sociaux
sont très clairs, faire en sorte d'intégrer encore plus de monde est toujours
un défi à relever pour chaque collectif. Pour cela, il faut se demander comme
augmenter sa base sociale et permettre que celle-ci contribue à son
autogestion. Souvent, pour établir des relations avec la base de soutien, il
faut effectuer un travail de diffusion, préparer des rencontres, organiser des
ateliers et encourager les dynamiques de formation et d'apprentissage
mutuel. En créant des canaux d'interaction (courrier électronique, liste,
chat, forum), il convient de s'assurer que les interactions se donneront de
manière adéquate, étant donné que répondre à des questions, créer une
documentation et guider les nouvelles participantes exige du temps et de
l'énergie.
Chaque collectif peut également décider de limiter ses espaces et modes
légitimes de prise de décisions et qui peut y participer. Combien le
collectif est ouvert à la participation de nouveaux arrivants et est
transparent dans sa gestion sont des questions clés souvent sources
permanentes de débat et de négociation. Les mécanismes peuvent prendre
mille formes, mais le plus important c'est qu'ils soient enregistrés
quelque part pour que chacune puisse définir et décider son degré de
participation, et proposer des changements concrets dans les forme
d'organisation.
Enfin, nous souhaitons mettre l'accent sur certains éléments qui
semblent manquer au sein des communautés qui travaillent derrière la ST.
Nous avons montré comment une partie d'entre elles sont informelles,
mobiles, en transformation permanente. De par leur nature, elles se
situent souvent sous le radar des institutions, ce qui présente du bon
et du mauvais. Le bon côté, c'est que la nature expérimentale et
inventive des initiatives ST peut les entraîner à se mouvoir dans les
terrains du vide juridique, en forçant la loi de la classe dirigeante à
s'adapter, et également parce que cela permet un degré d'indépendance
par rapport à l'agenda mis en place par les institutions publiques en
matière de culture et de recherche et développement. Le mauvais côté,
c'est que cela complique un accès stratégique aux fonds publics qui
pourraient renforcer la ST par et pour la société civile.
D'autre part, bon nombre de ces collectifs ne sont pas prêts à se
mesurer aux questions concernant la juste distribution des dons ou des
subventions. Repenser la nature économique de notre production
jusqu'alors volontaire et dissidente, débattre sur les tâches et sur la
façon dont certaines doivent être rémunérées et comment, peuvent être
des questions épineuses. De plus, s'il s'agit de subventions, il faut
faire en sorte que les numéros et les promesses concordent, ce qui
implique le stress propre à toute relation avec la bureaucratie. De ce
fait, d'autres collectifs tournés vers ces questions et orientés vers
l'obtention de synergies entre des projets similaires viendraient à
manquer dans le panorama actuel de la ST.
En complément, le travail de prise de conscience concernant l'importance
d'utiliser et de soutenir des alternatives pour protéger un Internet
ouvert, libre, sûr, décentralisé et neutre devrait être assumé par un
éventail beaucoup plus large d'actrices et d'organisations des
mouvements sociaux et de la citoyenneté. Ce travail ne peut pas
continuer à être de la responsabilité principale des collectifs qui
recherchent et développent des technologies libres. Nous devons toutes
contribuer à défendre un Internet libre.
Un effort collectif mieux distribué vers notre souveraineté
technologique démontre d'ores et déjà sa capacité transformatrice
révolutionnaire. L'Association des Astronautes Autonomes soulignait
l'importance de se réapproprier et construire de nouveaux imaginaires
concernant notre futur en déclarant: *"Les communautés de gravité zéro
sont à portée de main, seule l'inertie de la société prévoit qu'elles
soient formées, mais leur base est déjà créée et nous autres, nous
développerons la propulsion nécessaire."* La ST représente ces
communautés en gravité zéro chaque jour plus près du décollage.
------------------------------------------------------------------------
**Alex Haché:** Sociologue, docteure en économie sociale et chercheuse
sur l'usage des TIC pour l'intérêt public. Elle est impliquée dans le
développement et l'utilisation des logiciels libres comme outil de
transformation sociale et politique au sein de communautés de quartier,
de réseaux de chercheurs engagés, de mouvements sociaux, et de groupes
transfeministes.
------------------------------------------------------------------------
[1]: Disponible (en castellan): https://vimeo.com/30812111
[2]: http://viacampesina.org/fr/
[3]: https://fr.wikipedia.org/wiki/Souverainet%C3%A9_alimentaire
[4]: “En économie, négociation collective, psychologie et sciences politiques, sont appelés passagers clandestins les individus et organismes qui consomment plus qu'une partie équitable d'une ressource, ou qui n'assument pas une juste part du coût de sa production. La résolution du problème du passager clandestin (de l'anglais free rider problem) c'est de faire en sorte d'éviter qu'une personne ne devienne un passager clandestin ou au moins limiter ses effets négatifs”. https://fr.wikipedia.org/wiki/Passager_clandestin_(%C3%A9conomie)
[5]: https://n-1.cc/blog/view/69974/reclaim-the-networks-soberana-tecnolgica-para-redes-sociales
[6]: "Freedom and rights? You have to sweat blood for them! On the internet, too." http://www.infoaut.org/index.php/english/item/8937-freedom-and-rights?-you-have-to-sweat-blodd-for-them-on-the-internet-too-infoaut-interviews-autistici/inventati
[7]: Nous recommandons cette vidéo didactique sans dialogues (A tale by Big Lazy Robot VFX Music and Sound design by Full Basstards) présentant par exemple le fétichisme vis-à-vis des produits Apple: http://www.youtube.com/watch?v=NCwBkNgPZFQ
[8]: http://www.rebelion.org/noticia.php?id=139132
[9]: http://www.ippolita.net/fr
[10]: http://laboratoryplanet.org/
[11]: http://bureaudetudes.org/
[12]: http://tiqqunim.blogspot.com.es/2013/01/la-hipotesis-cibernetica.html
[13]: *"Je suis une partie d'une microentreprise, une coopérative de travail associé, chargé de produire du web avec un logiciel libre. Je suis un noyau qui diffuse de nombreux réseaux, sans que l'on puisse considérer l'un d'entre eux comme un espace entièrement propre: femme non féministe, coopérativiste non convaincue, entrepreneuse sans capital, travailleuse ayant une basse productivité, programmeuse qui ne fait nullement l'éloge de son langage…"* http://www.espaienblanc.net/IMG/pdf/Que_piensa_el_mercado-2.pdf
[14]: Le monde libre et ouvert s'est grandement compliqué. Aujourd'hui, nous voyons de nombreux secteurs de l'industrie, de la finance, et les gouvernements qui entrent dans un domaine de développement de technologies et de plateformes ouvertes (open innovation, open knowledge, open educational ressources, open tout).
[15]: http://networkcultures.org/wpmu/unlikeus/
[16]: Terme permettant de faire référence aux erreurs informatiques ou aux comportements non désirables/attendus d'une application.
[17]: http://www.nodo50.org/mujeresred/feminismos-jo_freeman.html
[18]: Tout comme l'expliquent les collègues du réseau social N-1: "N-1 est une notion utilisée par Deleuze et Guattari dans le livre *Mille plateaux, en Introduction au Rhizome* ou la multiplicité non réductible au Un. C'est "la soustraction qui permet de multiplier". C'est l'espace en moins, qui n'ajoute pas de dimensions à un ensemble, mais qui permet, à travers le développement d'une interface-outil partagée, de composer et de combiner à nouveau dans un commun ouvert. Plus simplement, cela veut dire que nous n'avons plus besoin de structures verticales et hiérarchiques qui conduisent à la constitution et à l'adoption par tous d'une idéologie à sens unique. Nous pouvons additionner toutes les parties, chacune des subjectivités actives et souhaitables, et ainsi obtenir un ensemble qui représente plus que chacune de ces parties prises séparément. De plus, l'utilisation du réseau, de la distribution et de la collaboration permet de réduire le travail total, étant donné que lorsque quelqu'un effectue une tâche et la partage avec les autres, ces autres personnes peuvent faire d'autres choses en partant de ce qui a été partagé auparavant. Ainsi, faire et partager des choses intéressantes, coûte à chaque fois moins de travail. L'on met en place quelque chose de plus simple à utiliser, l'on fait en sorte que chacune accède et trouve les ressources dont elle a besoin pour mener à bien ses actions de transformation sociale et/ou politique. Chaque fois qu'une personne effectue une tâche, avec un effort N, la prochaine personne à effectuer une tâche l'effectue en N-1 en effort pour faire de même."
[19]: P°23 http://www.viruseditorial.net/pdf/anarquismo_social_o_anarquismo_personal.pdf
[20]: Par exemple Guifi.net a été impulsé par un groupe de personnes qui n'avaient pas un accès Internet de bonne qualité de part leur situation géographique considérée comme "éloignée" par les ISP commerciaux, ou le personnel de la télé *Okupem les ones* qui souhaitait obtenir une chaîne de télévision non commerciale et qui reflète l'actualité des mouvements sociaux.

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