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# Fablabs
## DIY, makers, fablabs: A recherche de l'autonomie
***Ursula Gastfall & Thomas Fourmond***
2018-01-13 17:53:16 +01:00
![](media/fablabs.png)
2018-01-13 17:50:23 +01:00
Le maker [^1] est une sorte de
bricoleur du 21e siècle. Il fait un usage important du réseau internet
comme lieu de diffusion de connaissances, de collaborations et de
communications. Il accède à des outils complexes à bas-coût autrefois
réservés aux entreprises de pointe. La créativité, la bidouille, la
fabrication d'objets par soi-même (DIY - Do It Yourself), et
l'expérimentation, sont pour lui autant de moyens d'agir sur le monde
et sur sa vie. Il revendique le droit de comprendre et d'intervenir
techniquement sur les choses qu'il utilise quotidiennement comme
condition de sa liberté.
Il évolue notamment dans des lieux appelés "Fablab" -laboratoire de
fabrication- qui lui fournissent tous les moyens pour se déployer:
moyen de production, de documentation, de collaboration ou de
rencontres. Les makers se réunissent également dans d'autres lieux: les
"Techshops", les "hackerspaces", les "hacklabs". Ceux-ci se distinguant
principalement par l'accentuation ou la défense de l'un ou l'autre des
traits de la culture hacker dont leur pratique est notamment issue.
Dans notre société technicienne, le maker fait office de héros moderne .
De par leur aisance à appréhender le monde technique qui les entoure et 
la puissance d'agir que cela leur confère, il suscite l'admiration. 
Encourageant et bienveillant de prime abord, le slogan de Dale
Dougherty, fondateur de la revue Make: “We are all makers” -*Nous
sommes tous des faiseurs*- rappelle désormais la nécessité de comprendre
et développer ses capacités à intervenir techniquement sur les objets
qui l'entourent pour toute personne désirant acquérir une certaine
autonomie. Néanmoins, cette remise en question de la légitimité et des
rôles des intermédiaires cristallisent des désirs souvent antagonistes.
Principalement lorsqu'on examine avec plus de précisions la question des
ressources cognitives, sociales ou physiques rendant ces pratiques
possibles ou au prisme d'une pensée sociale plus circonscrite.
## I Aux origines
### Le bricoleur comme ancêtre toujours actif du Maker
Le Maker tire en grande partie ses origines d'une figure familière,
celle du bricoleur. Il s'agit de cet amateur, que nous sommes ou que
nous côtoyons, un voisin, un ami, doté d'un savoir-faire technique et
doué d'une grande dextérité. Il fabrique des objets, monte des
structures, répare les éléments de son quotidien pendant ses loisirs.
Insatiable et persévérant, il saffaire toujours à un nouveau chantier
et passe le moindre de «son temps libre » à améliorer et à façonner son
environnement personnel ou celui de ses proches. Son moteur principal
est la passion. Ce bricoleur toujours en action, n'agit pas sous la
contrainte mais bien par plaisir.
Malgré ses talents, le bricoleur est souvent moins considéré que son
alter ego professionnel: l'ingénieur, cet autre technicien à qui on
prête plus d'intelligence et plus de pertinence dans l'élaboration d'un
projet. Là où le bricoleur est l'agent de la sérendipité: il découvre
en agissant, ré-agit et improvise selon un contexte ; l'ingénieur est le
parfait stratège: il planifie, conçoit la globalité d'un problème et
peut engager d'importants moyens techniques et financiers pour le
résoudre. En tant que professionnel, il obéit aux normes d'une industrie
et aux règles de la compétition et de la rentabilité. Au service d'une
entreprise pour conquérir le monopole économique dans son domaine de
production, il vise inévitablement une excellence technique. Là où le
bricoleur conçoit une œuvre qui concerne un cercle réduit, l'ingénieur
travaille à un projet de plus grande envergure, qui d'ailleurs dépasse
largement ses seules compétences. [^2]
Outre cette « instrumentalité », les autres distinctions fondamentales
sont sa temporalité et son caractére non-marchand. Inscris dans le
champs des activités de loisirs ou du non-professionnel, le bricoleur
peut expérimenter plus librement. Il serait peut-être exagéré de parler
de l'errance du bricoleur, puisqu'il connaît distinctement ses objectifs
et vise le bon fonctionnement d'un mécanisme, la forme adéquate d'un
objet, mais il peut, à l'instar de l'artiste, grâce à ce "temps libéré",
investir son travail de sa subjectivité. C'est-à-dire que s'engouffre,
là, dans sa pratique, quelque chose de sa pensée, de ses rythmes, de son
affectivité et produit grâce à cela un agencement singulier. Cette
réalisation permet un « retour à soi » qui se concrétise dans une
relation sociale extérieure. L'objet ainsi investit, porte le désir de
son auteur, doublé des caractères d'un contexte et de sa matérialité. 
Bien que cet espace de liberté soit souvent le lieu d'une pratique
solitaire, il n'exclut pourtant pas les échanges, au travers de nombreux
magazines, de forums ou livres techniques, pour partager des méthodes et
des expériences vécues. Le magazine, le plus connu en France, créé en
1923, reste « Système D », sous-titré: « Le journal hebdomadaire du
débrouillard ». [^3]
### DIY: une pratique politique et un champ de contestation, un pas de côté hors d'une société asphyxiante.
Le mouvement Arts & Crafts, « arts et artisanats », remonte aux années
1890, période faste et hégémonique de l'empire britannique. Bien avant
nos bricoleurs et nos futurs Makers, bien antérieur au terme DIY, Arts
&Crafts contient déjà en substance les principaux éléments de cette
«culture» et s'inscrit à cet égard comme la genèse d'une pratique à
laquelle s'ajoute une dimension politique explicite. Ce mouvement
manifeste en effet la volonté de ne pas s'inscrire dans le déploiement
industriel de cette époque glorieuse, et qui plus est, tente de
s'organiser pour y échapper. Il voit d'un mauvais oeil le rapide
développement des usines à charbon qui entraîne la pollution et la
dégradation des paysages. Pionniers de l'écologie, en lutte pour le
partage de compétences et contre la concurrence et les inégalités
sociales, les artisans de Arts & Crafts souhaitent une société en accord
avec la nature. Elle est la source d'inspiration de toutes leurs
réalisations ; leurs tapisseries, meubles, poteries, vaisselles,
abondent de motifs végétaux. En cohérence avec cette harmonie
primordiale, ils s'éloignent des villes, créent des écoles et prônent
des valeurs de travail où l'art est au centre d'une pratique manuelle
restée en contact permanent avec la nature. Ils limitent leurs
productions à des objets du quotidien de qualité, réalisés en pièces
uniques ou en petites séries. De fait, la pensée d'un de ces
fondateurs, Wiliam Morris, reste encore aujourd'hui une référence chez
les partisans de l'économie sociale et
solidaire [^4].
Le terme DIY est attribué à Jerry Rubin, co-fondateur avec Abbie Hoffman
du Youth International Party [^5]
(1967-68), leader des Yippies américains, il est l'auteur d'un des
livres manifestes de cette période: « *Do it !: Scenarios of the
Revolution »*, publié en 1970.
Les Yippies sont avant tout des activistes politiques plus radicaux et
plus spectaculaires que leurs prédécesseurs. Ils défient les autorités
américaines et organisent sous des formes inédites, souvent surprenantes
et drôles, de nombreuses manifestations contre la guerre du Vietnam et
s'opposent au racisme qui s'immisce dans les faits quotidiens. Mais les
scénarios de révolution dont Jerry Rubin se fait le prophète vont
rapidement s'évanouir: "Ne faites pas confiance à quelqu'un de plus de
trente ans".La phrase fétiche des Yippies, qui ne les concernait pas
encore à l'époque, s'avéra prémonitoire quand la contestation radicale
finit par se solder pour la plupart en une réintégration parfaite dans
le système capitaliste. [^6]
Puis dans le milieu des années 70, les punks, ces fameux « pantins »,
comme ils se nomment, stigmatisent (particulièrement dans la scène New
Yorkaise et en Angleterre) les conditions de vie aliénantes liées à
l'urbanisation, au chômage, et aux mœurs pudibondes d'une société
oligarchique. Do It Yourself ! devient un des slogans anti-consuméristes
d'une jeunesse qui exhorte une population pétrifiée à sortir de sa
léthargie. Il appelle chacun individuellement à s'autonomiser d'un
système de consommation qui fixe les règles d'échanges et noie toutes
formes d'alternatives. Le DIY, chez les punks, s'exprime avant tout dans
la musique et leur opposition à l'industrie musicale. Les punks
rejettent les formes délitisme, notamment la virtuosité de l'artiste.
Ils sont majoritairement autodidactes, jouent dans des caves et des
garages, et mettent en place leurs propres maisons de disques. Cette
culture se forge aussi autour de publications auto-produites: les fameux
fanzines punks, abréviation de «fanatics magazines ».
Ceux ci, réalisés avec des moyens simples et accessibles à tous
(photocopieuse, agrafeuse, ciseaux, colle), tissent un réseau social et
politique plus large autour de cette scène . N'étant pas soumis à des
impératifs de vente, ils sont le lieu d'une parole libérée où
s'expriment des revendications souvent libertaires, accompagnées d'une
esthétique virulente, libre dans ses formes et dans ses formats, et qui
reflète une filiation avec les
Situationnistes [^7]. Ils se montrent
attirés par ce qui est ordinairement rejeté, cultivent un goût de la
provocation et l'usage d'un humour noir mordant, au ton caustique et
décomplexé. Ainsi comme résume Sebastien Broca citant Fabien Hein dans
son récent ouvrage "Utopie du logiciel libre": « La vulgate punk
consiste à affirmer quagir est à la portée de tous et quil ne tient
finalement quà chacun de réaliser ses aspirations. »
[^8]
La pratique du DIY bien que constituant un des fondements de la culture
Maker, ne suffit pas à caractériser toute sa complexité. Il manque
l'aspect déterminant porté par le réseau et les outils informatiques.
## II. Intensification et approfondissement des moyens d'échanges: les voies vers l'internet pour la création de communautés étendues.
### Whole Earth Catalog: un premier réseau web sur papier
The whole Earth Catalog est une revue américaine publiée entre 1968 et
1972 à l'initiative de Stewart Brand, écrivain et
éditeur. [^9] ** Les premières éditions
de ce catalogue seront suivies d'éditions plus occasionnels comme la
Whole earth review et le CoEvolution Quaterly.
Une de ses particularité réside dans son mode de fonctionnement. Il
propose un véritable réseau de partage d'informations et de
connaissances, ainsi que des moyens d'échanges multidirectionnels,
puisque les lecteurs peuvent alimenter et modifier les contenus.
« Access to tools » est le sous-titre, apposé comme une devise, sur la
couverture du magazine. Ces "outils" désignent autant les outils
physiques que les premiers outils informatiques. A cela s'ajoutent les
matériaux théoriques d'une réflexion globale, axée sur les outils de
communication et les problématiques environnementales mondiales. Ainsi,
à la différence d'un simple catalogue de DIY, il vise des questions
d'ordre globales, la prise en compte de l'ensemble des moyens
nécessaires ainsi qu'une critique sur le choix des outils pour y
parvenir. Par sa diffusion, il se rend accessible de manière plus
universelle, au-delà d'une communauté déterminée. Il essaime d'ailleurs
outre atlantique avec des éditions telles que *La revue des ressources*
en France.
Cette forme insolite initie ce que deviendra plus tard le web avec ses
blogs, documentations et manuels numériques, chers aux logiciels libres.
Le Whole Earth Catalog représente les prémisses des communautés
virtuelles qui se concrétiseront plus tard *avec* The Well (The Whole
Earth Lectronic Link), [^10] la plus
vieille communauté virtuelle encore existante.
### L'accomplissement du réseau: la création d'internet
Le réseau internet est un agencement d'infrastructures informatiques et
de systèmes de télécommunication. Son expérimentation débute à la fin
des années 60. Il se fonde sur le déploiement progressif de terminaux
intégrant les grandes universités et l'armée dans un réseau bientôt
baptisé Arpanet. [^11] Son ouverture à
un large public, au début des années 1990, donnera l'internet tel que
nous le connaissons aujourd'hui. Outre la mise à disposition de
documentation, le numérique comprime le temps et l'espace dans les
moyens de communication, par exemple en permettant l'apparition de
nombreux moyens de discussions comme les canaux IRC qui rendent
possibles la discussion instantanée. Ils sont dédiés à un sujet, un
groupe ou un projet et permettent d'obtenir un soutien immédiat de la
part de ses membres ( il existe également les mailing-lists, les forums,
les emails). Ces moyens permettent d'ouvrir et d'hybrider plus largement
les pratiques, sa structure développe sans répit des ramifications
infinies qui fait de lui "le réseau des
réseaux". [^12]
### Une architecture et des principes de fonctionnement inspirés des logiciels libres.
Le maker est directement influencé par les principes des logiciels
libres issus de la culture hacker et crée son pendant matériel: l'Open
hardware. Il dispose de licences propres disposées à être appliquées au
monde physique que fabrique le Maker. L'établissement de ses structures
fonctionnelles et juridiques doivent en principe permettre de perpétuer
ce partage et d'appliquer la viralité du réseau et les méthodes propres
aux programmeurs du monde du logiciel libre aux objets physiques. Cette
architecture issue du monde en ligne tend à ré-agencer un espace hors de
la propriété intellectuelle et des clauses de confidentialité imposées
par les brevets (General Public License).
## III Observations sur le DIY et la pratique make
### Les fablabs, espaces de déploiement de l'autonomie ?
La pratique maker est autant une manière de réaliser une chose soi-même
que de réaliser une chose pour soi-même ; c'est-à-dire à la fois une
démonstration de ses capacités et l'expression de sa propre autonomie:
je façonne les objets donc j'agis sur le monde. L'autonomie est une
forme de liberté en acte que nous pouvons exercer pour élaborer ou
définir notre rapport avec tout ce qui pourrait avoir avec notre
existence et la manière dont nous entendons la mener. Elle n'a rien à
voir avec la mise en œuvre d'une forme d'isolement qui poserait en
premier le lieu le but de se suffire à soi-même car dans ce cas on
parlerait plutôt d'autarcie. L'autonomie est une pratique d'agencement,
d'élaboration de son rapport au monde et aux autres dans le but qu'ils
coïncident pour former une collectivité. Ensemble complexe dont nous
partageons les perspectives et dont nous reconnaissons la nécessité de
certains attachements et de certaines contraintes.
Fablab signifie "fabrication laboratory" ou "laboratoire de
fabrication". Il a été institué en 2001 par Neil Gershenfeld, professeur
au Center of bits and atoms du le Massachusetts Institute of
Technology (MIT) en 2001. Il souhaite rendre accessible la fabrication
numérique et ses machines-outils au plus grand nombre. Ces
"laboratoires" sont encadrés par une charte commune qui tente de régir
les modalités d'usage et d'accès à ces lieux collaboratifs.
http://fab.cba.mit.edu/about/charter/
Le fablab est un lieu qui donne aux makers tous les moyens pour agir.
Ils sont ouverts à tous car «* Nous sommes tous des Makers* » et propose
des outils tels:
![relaciones entre fablabs](img/fablabs1.png){width="600" height="513"}\
Illustration d'un fablab par Jakkofablab.
* l'imprimante 3D pour imprimer des objets en plastique en volume.
* machine à découpe commandé par ordinateur
* fraiseuse numérique
* des matières premières
* composant électroniques, accessoires
En complément, une connexion internet et des espaces conviviaux
favorisent la circulation du savoir. Des protocoles ont été élaborés
afin d'encourager sa circulation libre sous des formes juridiques et
techniques partageables, diffusables et modifiables (FLOSS Manuel
Licence Creative Commons thingerverse.com).
Des lieux de ce genre émerge partout dans le monde. Les discours sur
l'autonomie et la qualité des réalisations partagées ont rapidement
attiré des ambitions diverses et certaines fois antagonistes comme les
milieux entreprenariaux et les militant anticapitaliste.
Pour ces derniers, la culture maker devient un apport majeur pour
réaliser leur projet politique [^13].
Même si pour eux la technique est un simple moyen contrairement à la
culture maker pour qui elle est un moyen … déterminant. Les makers
semblent avoir une compréhension plus large de l'impact social des
techniques. La culture du libre en est un très bon exemple. Le réseau
internet est aujourd'hui un espace d'expérimentation pour la libre
association, l'auto-organisation, le partage,l'institutionnalisation de
nouveaux rapports sociaux autonomes et la remise en question radicale du
droit de propriété…
Un apport participant à élargir les perspectives de luttes et permettre
de nouvelles combinaisons d'actions plus adaptées « aux formes et aux
contenus qui se sont déjà développés au sein de la société actuelle
» [^14]. Toutefois, l'apport de cette
culture dans la construction d'une société émancipée tiendra
probablement à la manière dont elle pourra organiser un prolongement de
ses pratiques en dehors de l'informatique et de la médiation logicielle.
Ce qui ne semble pas être tout à fait la voie choisie … puisqu'il semble
au contraire qu'elle participe à une informatisation du monde toujours
plus importante.
Depuis ses débuts, la culture maker est très proche de la culture
entreprenariale; Nullement indisposé par les aspirations éthiques ou
sociales des hackers ou makers, le monde de l'entreprise n'y voit aucun
inconvénient puisqu'on lui sert de nouveaux marchés… L'innovation est
le joli mot d'ordre donnée à tous les maker qui le veulent pour
participer à la compétition économique. A ce sujet, les propos de
Nadejda Tolokonnikova [^15] sont
éclairants: « le côté anti-hiérarchie du capitalisme tardif n'est
qu'une publicité réussie ! (…) La logique de la normalité totalisante
continue à fonctionner dans les pays qui assurent la base matérielle ce
tout ce qui est créatif, mobile et nouveau dans le capitalisme tardif
(…) les travailleurs de ces régions eux, n'ont le droit à aucun
excentricité **** ».
On aurait tort d'analyser et de chercher dans le mouvement Maker un
projet politique commun. En tentant cela, on ne découvrirait qu'un
ensemble d'ambitions contradictoires et des confusions intellectuelles
des plus surprenantes. Les maker *parle de ré-appropriation des moyens
de productions, de re-localisation de l'économie, de travail passion,
d'écologie, de business … de capitalisme, d'anti-capitalisme…* être
maker c'est avant tout être un faiseur, un agissant voire un fabricant.
Et c'est aussi probablement l'une des raisons expliquant pourquoi la
culture maker a une si large influence, elle n'est pas un projet de
société *mais un rapport actif au monde qui est à la fois individuel
(DIY) et collectif (notamment dans les fablabs).*
## Le fablab, espace pour la création de nouveaux mondes ?
Nous ignorons tellement de la complexité des marchandises qui nous
entourent que l'on peut être hâtivement tenté de baptiser DIY toute
réalisation ne relevant guère plus que de l'assemblage d'un puzzle ou un
meuble Ikea. Ainsi, émerge le kit, son ertsatz, son pendant marchand.
Plus plaisant que le simple usage d'un bien de consommation, l'autonomie
s'y confond avec l'assemblage ou la réparation, elle-même réduite à un
simple remplacement de pièces. Le kit, comme sur-couche marketing, vide
ainsi le DIY de sa substance..
Une fois que le mince-voile du kit est levé, même s'il est réalisé dans
un fablab et se trouve issu du « libre », on découvre simplement un
nouveau type de désir consumériste: une personnalisation égocentrique
alliée parfois à la naïve et emphatique économie du développement
durable.
Ainsi, les outils utilisés et revendiqués par les "créatifs et
innovateurs" signifient souvent exactement l'inverse pour leurs
producteurs. Sans aller aussi loin que l'extraction du minerai
nécessaire à la fabrication des composants électroniques que l'on a du
mal à imaginer auto-gérée et amusante, on peut découvrir ce que signifie
la simplicité pour utilisateurs: *la simplexité* pour les ingénieurs ou
plus précisément selon Alain
Besnier [^16]: “*rendre les choses
plus aisées à l'utilisateur, c'est nécessairement devoir les rendre plus
difficiles à l'ingénieur qui les invente*. “
Bien que les makers aient une conscience plus aigu de la dimension
sociale des techniques que les bricoleurs ou les ingénieurs, on
observera que dans de nombreux fablabs on privilégiera l'acquisition
d'une machine très précise, même non-libre, plutôt qu'une version plus
limitée techniquement mais qui serait engendrés par des rapports sociaux
et environnementaux plus justes. Il semble donc peu probable que les
makers puissent porter un véritable changement social. Les réalisations
actuelles participent bien davantage à une réactualisation des rapports
de productions et de consommation capitalistes qu'à l'organisation d'un
quelconque dépassement.
## Conclusion
« […] en réalité et en pratique, le vrai message, c'est le médium
lui-même, c'est-à-dire, tout simplement, que les effets d'un médium sur
l'individu ou sur la société dépendent du changement d'échelle que
produit chaque nouvelle technologie, chaque prolongement de nous-mêmes,
dans notre vie. » [^17]
Si le marketing maker, les journalistes et les conférenciers ne plaçait
pas en lui toutes nos aspirations à voir ce monde évoluer enfin vers un
monde plus juste ; nous le jugerions moins sévèrement. Toutefois, notre
méconnaissance à l'égard des véritables ressources mobilisées pour la
fabrication des marchandises que nous tenons pour essentiel nous
handicape pour penser une alternative au mode de production capitaliste.
Bien des choses qui nous semblent naturelles reposent en réalité sur une
sur-exploitation des ressources. Il nous semble donc, que, pour remplir
ces promesses, le fablab doit envisager une analyse plus radicale des
technologies et du capitalisme en ne faisant pas reposer l'autonomie
qu'il défend sur une domination camouflée dans des mondes apparemment
invisibles.
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**Ursula Gastfall:** Plasticienne audio-vidéo. Membre du /tmp/lab,
hackerspace d'ïle de France et d'Usinette.org. Ursula Gastfall organise
des conférences et des ateliers autour de l'électronique DIY et de
l'autoconstruction. http://usinette.org
**Thomas Fourmond:** Membre du collectif Usinette et habitant du écolieu
vallée d'Humbligny dans le Cher.
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[^1]: Il tire son nom de la revue *Make* entièrement dédié à la culture DIY, voir: http://makezine.com/
[^2]: A ce sujet, la citation de Claude Levi-Strauss de 1962, fait date et explique cette différence: « Le bricoleur est apte à exécuter un grand nombre de tâches diversifiées ; mais, à la différence de l'ingénieur, il ne subordonne pas chacune d'elles à l'obtention de matières premières et d'outils conçus et procurés à la mesure de son projet: son univers instrumental est clos, et la règle de son jeu est de toujours s'arranger avec les « moyens du bord », c'est-à-dire un ensemble à chaque instant fini d'outils et de matériaux, hétéroclites au surplus, par ce que la composition de l'ensemble n'est pas en rapport avec le projet du moment, ni d'ailleurs avec aucun projet particulier, mais est le résultat contingent de toutes les occasions qui se sont présentées de renouveler ou d'enrichir le stock, ou de l'entretenir avec les résidus de construction et de destruction antérieures. »
[^3]: La louable vocation première affirmée du magazine Système D à sa création était d' « apprendre tous les métiers à ses lecteurs ». Il semble que cet objectif aujourd'hui se soit largement modifié. Bien moins ambitieux et altruiste, dans cette période de crise économique perpétuelle, il n'a gardé qu'une ambition commerciale qui s'est fortement développée à travers la multiplication des magasins de bricolage et d'autres magazines, de décoration, de couture depuis les années 70 , inscrits dans cette tendance, plus connue internationalement sous le terme anglo-saxon: DIY, acronyme de l'expression: Do-it-yourself ! (Faites-le-vous-même !). Néanmoins, sa forme exclamative a largement disparu des esprits pour devenir un argument marketing, qui abreuve toutes les revues de décoration pour la maison et le jardin. Paradoxalement cet acronyme fut pourtant l'expression d'une contestation politique et d'une volonté de prendre ces distances avec une société de consommation asphyxiante. http://www.systemed.fr/
[^4]: http://www.economiesolidaire.com/
[^5]: https://en.wikipedia.org/wiki/Youth_International_Party
[^6]: Le devenir de Jerry Rubin semble exemplaire etptomatique de cette mutation du mouvement yippies, puisqu'il devient dans les années 80 un homme d'affaire à succès et l'un des premiers investisseurs d'Apple. Il fait alors part de ses nouvelles convictions: "la création de richesses est la seule vraie révolution américaine".
[^7]: https://en.wikipedia.org/wiki/Situationist_International
[^8]: Fabien Hein, *Do It Yourself! Autodétermination et culture punk*, Congé-sur-Orne, Le passager clandestin, 2012, p. 24
[^9]: Qui deviendra plus tard, conseiller en stratégies commerciales pour multinationales comme lq *Global business network*.
[^10]: http://www.well.com/
[^11]: http://www-sop.inria.fr/acacia/personnel/Fabien.Gandon/lecture/mass1_internet2000/history/
[^12]: Confère les conférences de Benjamin Bayard pour comprendre plus précisément le fonctionnement et les enjeux: http://www.fdn.fr/Qu-est-ce-qu-Internet.html
[^13]: Parfois la culture du libre (https://fr.wikipedia.org/wiki/Culture_libre) est cité comme la concrétisation des outils conviviaux d'Ivan Illich.
[^14]: Ernst Bloch, le principe espérance, tome II, *les épures d'un monde meilleur*, paris, Gallimard 1982, p. 215-216.
[^15]: Activiste des Pussy Riot dans une correspondance avec Slavoj Slizek.
[^16]: Alain Besnier: L'homme simplifié, Fayard.
[^17]: Marshall McLuhan: Pour Comprendre les médias (1968).