soberania_tecnologica_v1/fr/content/16biolabs.md

281 lines
16 KiB
Markdown

# Biohacking
## La recherche scientifique comme capacité à performer la réalité
### Une révision transhackféministe du hack de la science
***Paula Pin***
![](media/biohacking.png)
Quand nous parlons de performer nous faisons référence à l'idée de
“performance” qui signifie avoir une action, parfois artistique, parfois
scénique et parfois technique, lors de laquelle le facteur improvisation y
joue un rôle important, et cherche à générer de la surprise, de la provocation
ou de l'étonnement. Il s'agit d'un ensemble de ressources tactiques pour
explorer et dépasser les frontières de ce que l'on considère comme des faits
ou des valeurs établies. Pour cela, performer nos corps par la pratique du
biohacking nous permet de mettre entre parenthèses la dualité et le binaire et
voir ce qu'il y a au delà. Nous sommes les témoins de l'avènement d'une
nouvelle ère produite par le frottement de metaorganismes, et l'étude des
prototypes biotechnologiques est un outil qui augmente la puissance
performatique de notre corps.
Dans ce contexte, des initiatives sont mises en place comme les
biohackerspaces ou Biolabs qui explorent de nouvelles formes pour faire se
joindre les pratiques scientifiques et techniques avec la société, la culture
et la nature. Ces milieux sont essentiels pour l'apprentissage et
l'innovation. Nous voulons expliquer la science en évitant la peur que
certaines personnes ressentent face à l'inconnu et nous voulons remettre en
question la bioscience actuelle qui appartient exclusivement à quelques un(e)s
suposé(e)s hautement qualifié(e)s. Il s'agit de mettre les ressources et les
outils de la science Do It Yourself (DIY) entre les mains des personnes
intéressées. C'est comme cela que les mouvements de Biohacking et Open Science
s'organisent pour le développement commun d'outils de hardware et/ou de
logiciel libre, réduisant ainsi notablement les coûts de la recherche, et
facilitant en même temps le transfert de connaissances libres.
Ces modèles participatifs et ouverts mettent en jeu de nouvelles interactions
entre les différentes échelles en terme de penser et faire, réfléchir et
créer, philosopher et concevoir. On pratique de la sorte de nouvelles
synergies d'où émergent et s'actualisent les définitions des concepts de
matérialité, d'ontologie et d'agencement. On laisse de côté les absurdes
dichotomies entre nature et culture, science et art, femme et homme, pour se
nourrir du mélange hybride des connaissances et amplifier nos capacités
cognitives.
## Terrains d'expérimentation pour les biolabs DIY
Le Biohacking est une pratique qui implique la biologie en même temps que
l'éthique Hacker. En général, cette pratique est propice au développement des
sciences et des technologies non-institutionnelles. De fait, de nombreux
activistes biohacker s'identifient dans le mouvement biopunk ou dans le
transhumanisme et dans le techno-progressisme. Le biohacking englobe un large
spectre de pratiques qui vont de celles des Grinders qui conçoivent et
installent des prothèses DIY et des implants magnétiques jusqu'à celles de
biologistes qui séquencent les gênes dans leur laboratoire maison. Il peut
aussi se référer à la gestion de la biologie personnelle de part l'utilisation
d'un ensemble de techniques médicales, nutritionnelles et électroniques. Cela
peut inclure l'utilisation de nootropes et de dispositifs cybernétiques pour
l'enregistrement de données biométriques tout comme l'utilisation et
l'expérimentation avec des microorganismes pour obtenir de l'énergie.
Il y a donc dans le biohacking une grande variété de motivations et de
postures. Nous voudrions souligner le Transhackféminisme [^1] puisque le hack
du genre a donné durant les dix dernières années un contexte transféministe
qui se forge dans l'augmentation des technologies pharmaceutiques et dans les
performances qui cherchent l'hybridation, en général de manière beaucoup plus
poussée que les pratiques actuelles du hack ne le font. Ces performances
augmentent nos capacités perceptives en utilisant les corps comme champ
d'expérimentation permanent.
Pour ce qui est de la biotechnologie, cette dernière se fonde sur la
technologie qui étudie les mécanismes et les interactions biologiques des
êtres vivants et en particuliers les unicellulaires. C'est un domaine d'étude
pluridisciplinaire qui prend en compte la génétique, la virologie,
l'agronomie, l'écologie, les sciences de l'ingénieur, la physique, la chimie,
la médecine, et la médecine vétérinaire. Dans tous les cas la biologie, et la
microbiologie, sont les sciences de base qui apportent les outils fondamentaux
de la mécanique microbienne. La biotechnologie est largement utilisée en
agriculture, en pharmacologie, dans la nutrition, en environnement et en
médecine.
La biologie synthétique se fonde sur le génie génétique et c'est un nouveau
domaine de recherche qui combine la science et le génie. Il embrasse une
variété d'approches différentes, avec l'objectif de concevoir et de construire
de nouvelles fonctions et de nouveaux systèmes biologiques qui n'existent pas
dans la nature. Pour donner un exemple, jusqu'à présent seule la vie était
capable de créer l'ADN mais maintenant il est possible de le synthétiser, il
existe des machines spécialisées qui peuvent réellement “l'imprimer” de la
façon voulue. Le scientifique peut désormais télé charger le code génétique
d'un virus ou d'une bactérie et l'imprimer dans le laboratoire dédié à l'ADN
[^2].
Finalement la nanotechnologie est un domaine des science appliquées dédié au
contrôle et à la manipulation de la matière à une échelle plus petite que le
micro mètre, c'est à dire, au niveau atomique et moléculaire
(nanomatériaux). Cette nouvelle application de la technologie a le potentiel
pour donner des solutions durables comme la distribution d'eau potable pour la
consommation humaine et d'eau propre pour les utilisations agricoles et
industrielles.
On peut dire de manière générale que l'utilisation du génie dans le domaine de
la biologie permet de voir naître des applications potentiellement
avantageuses comme le développement de médicaments à bas coûts ou la
fabrication de produits chimiques et énergétiques avec des bactéries
modifiées. Pourtant il existe aussi de nombreux risques possibles liés aux
applications éthiques, tout comme on néglige les possibles dommages et
accidents qui pourraient être provoqués par ces nouveaux domaines
d'expérimentation [^3]. A ce propos nous conseillons de suivre le travail
développé par le groupe ETC [^4] qui fait un suivi de ces dangers et essaye
d'en informer les citoyens et les institutions. C'est pour cela que la
multiplication de laboratoires citoyens, non marchand, orientés vers
l'exploration et l'expérimentation de ces domaines est cruciale pour en
favoriser les aspects bénéfiques pour le bien commun.
## Quelques exemples de Biolabs DIY
Un des évènements les plus remarqués dans le domaine de la recherche citoyenne
sur les nanotechnologies est par exemple les NanoŠmano Labs [^5], commencés en
2010 par Stefan Doepner [^6] et Marc Duseiller [^7] en collaboration avec la
Kapelica Gallery [^8^](#sdfpootnote8sym){.sdfootnoteanc}(Ljuljana,
Slovenia). En septembre 2012, j'ai eu la possibilité de collaborer à la
troisième édition de LifeSystems où nous nous sommes plongés dans le monde des
êtres vivants à nanoéchelle en créant un laboratoire temporaire dans un jardin
communautaire. Ce laboratoire se basait sur une interface entre les êtres
vivants et les êtres artificiels, et aussi sur des sujets en rapport avec
l'agriculture, la jardinerie et la nourriture. Au travers de ces processus
performatifs collectifs, NanoŠmano rejette le cadre de l'art et de la science
et au lieu d'offrir une exposition qui présenterait seulement les résultats de
la technique, il génère un processus ouvert d'expérimentation qui peut être
appréhendé à travers nos mains et nos corps, en contact direct avec la
matière.
Les biohackerspaces ou biolabs sont des espaces de liberté intellectuelle qui
ont l'avantage d'être ouverts à une large gamme d'acteurs et à plusieurs types
de collaborations. La biologie DIY possède le potentiel de procurer les moyens
aussi bien pour repenser la biologie moderne et traditionnelle comme pour
déplacer la biotechnologie des laboratoires vers la vie quotidienne des
gens. Ce sont des espaces pour le développement de technologies ouvertes et
libres qui proposent une ouverture de la recherche en permettant d'en
développer les contenus de manière collaborative. Logiquement, ces recherches
sont documentées sur les plate-formes web de chaque biolab pour pouvoir être
reproduites par d'autres. Voyons à présent quelques exemples de
biohackerspaces.
Hackteria [^9] est un réseau de personnes intéressées par l'art, la conception
et la coopération interdisciplinaire qui pratiquent la biologie DIY. Le réseau
a été fondé en 2009 et il inclut aujourd'hui non seulement des scientifiques,
des ingénieurs et des artistes mais aussi des philosophes, des
transhackfeministes et même des cuisiniers. Hackteria opère à une échelle
globale, et se base sur une plate-forme web et un wiki pour l'échange de
savoirs. BioTenha [^10] est une plate-forme ouverte pour la recherche
interdisciplinaire et artistique dans les sciences de la vie qui a commencé
par une collaboration entre Hackteria et la Kaplica Gallery.
Biotweating [^11] est un laboratoire basé sur l'éducation DIWO (Do It With
Others). La majeure partie de ses expérimentations est liée à la BIOsection
program du Radiona makerspace Zagreb et au Universal Research Institute. Ce
dernier a été fondé pour promouvoir la recherche scientifique libre et
indépendante. Son objectif est de fournir un environnement propice à ce que
les citoyens puissent développer et innover dans un sens bénéfique pour
l'humanité.
Manila Biopunk [^12] est un petit mouvement intellectuel et culturel composé
de jeunes scientifiques, ingénieurs, étudiants, et qui cherchent à créer une
conscience publique autour des technologies actuelles dans les sciences
biologiques et chimiques sur lesquelles il est possible de travailler dans le
jardin ou dans le garage de la maison.
DIY Bio singapore [^13] est un mouvement impulsé par Denisa Kera depuis 2010
et qui fait maintenant partie du réseau Hackteria. Présent dans le sud-est
asiatique il réunit une communauté de scientifiques et de designers intéressés
par le hardware ouvert pour des projets scientifiques. BIO-DESIGN for the real
world [^14] est un projet interdisciplinaire et collaboratif qui recherche,
définit et construit des prototypes qui intègrent le wetware, hardware et
software pour faire face aux problèmes liés à l'eau.
Lifepatch [^15] est une organisation indépendante qui travaille dans
l'application créative et adaptée aux domaines de l'art, de la science et de
la technologie à Yogyakarta (Indonesie). Sa mission est l'aide au
développement des ressources humaines et naturelles locales et la construction
de passerelles pour fomenter un accès libre aux sources de recherche et de
développement pour tous.
Toutes les initiatives introduites précédemment utilisent des prototypes de
structures pour permettre des retouches collaboratives, et leurs protocoles de
recherches englobent des normes innovatrices, éthiques et sociales plus
grandes. Elles représentent une chance unique pour qu'une politique plus
inclusive, expérimentale et participative ait des conséquences publiques et
globales dans les domaines scientifiques émergents. Même quelques biologistes
synthétiques, situés dans de prestigieuses universités américaines comme
Harvard, Stanford et le MIT ont crée la fondation BioBricks [^16]. Une
organisation indépendante sans but lucratif dédiée à l'aide au développement
libre de la biologie synthétique à travers l'instauration de nouvelles normes
techniques et de nouveaux instruments juridiques. Ils ont en projet la
création d'un Biofab, un atelier public dédié à la production professionnelle
de “pièces” biologiques fiables et standardisés qui composeront un système
d'exploitation libre pour la biotechnologie. Ils rédigent aussi l'Accord
BioBricks Public (BPA) qui devrait se construire comme un nouvel outil
juridique pour l'échange de biologie synthétique. Il s'agit d'une tentative de
code source en accès libre dans le domaine de la biologie synthétique et de
permettre à la communauté des biologistes synthétiques de croître sans le coût
dérivé de l'actuel système de brevets qui cherchent à privatiser le vivant.
## Conclusions
Les biologistes se sont mués en ingénieurs du monde des êtres vivants. En
faisant que les réponses qu'apporte le génie biologique aux problèmes globaux
soient ouvertement disponibles, nous pouvons peser dans la transformation du
monde. Pour nous, c'est de fait un moment très important puisque nous sommes
en train de créer un espace ouvert à l'expérimentation dans le projet de
Calafou [^17]. Dans ce contexte qui facilite la création d'espaces
indépendants et autonomes nous avons rassemblé nos énergies pour faire naître
Pechblenda [^18]. Notre labo transhackfeministe est un lieu dédié à
l'expérimentation en bio.electro.chimie. En tant que transhackfeministe,
biohackers et biopunks nous voulons être touché par l'environnement, étudier,
connaître et expérimenter avec la matière et les paramètres qui rendent
possible la vie/mort. Notre philosophie est radicalement ouverte et inclusive,
partage et décortique la vie dans tous ses aspects:
* Nous devenons des êtres organiques/technologiques en perpétuel changement.
* Nous créons des contextes participatifs où la recherche, l'évaluation et
l'expérimentation avec les sciences, la société, le savoir peuvent donner
de multiples performances: rituels cyborg/witches, noise performances,
laboratoires temporaires et permanents, ateliers, hackatones, rencontres
transhackfeministes, laboratoire autonomes technologiques,
* Nous sommes constamment en train de performer de nouvelles capacités qui
nous conduisent vers l'hybridation des savoirs et des pratiques et nous
éloignent de la logique capitaliste de la spécialisation.
------------------------------------------------------------------------
**Paula Pin:** Chercheuse, diplômée des Beaux-Arts de Barcelone et de Sao
Paolo, son travail va du dessin à la vidéo abstraite, en passant par le
circuit bending, ainsi que la recherche à la limite de la biologie, l'art et
la science queer. Ses disciplines sont les sculptures cinétiques interactives,
l'immersion en environnement, les supports audiovisuels, et l'action directe
avec pour objectif d'ouvrir de nouveaux canaux de communication, d'envies et
de sensations, toujours avec un focus sur le corps comme lien entre la nature
et la technologie.
------------------------------------------------------------------------
[^1]: Les tendances transhackfeministes qui utilisent certains outils de biohacking. http://pechblenda.hotglue.me • https://network23.org/pechblendalab/ • http://akelarrecyborg.tumblr.com/ • http://anarchagland.hotglue.me/ • http://transnoise.tumblr.com/ • http://biosensing.tumblr.com/ http://sexoskeleton.tumblr.com/
[^2]: Des groupes de Open science comme Genomes Unzipped et le personnel de Genome Project donne à connaître des séquences individuelles du génome, et mettent à disposition gratuitement en ligne des outils (par exemple, GET-Evidence et Trait-o-Matic). D'un autre côté, avec le nouveau kit à 100 dolars GeneLaser, développé par Mac Cowell et Josh Perfetto, n'importe quelle personne intéressée peut extraire et séquencer un fragment d'ADN de presque n'importe quel organisme en une journée et hors laboratoire.
[^3]: Nous recommandons la lecture du livre de Eric Drexler, “La nanotechnologie: l'avènement des machines creatrices”.
[^4]: Action Group on Erosion, Technology and Concentration. http://www.etcgroup.org/
[^5]: NanoŠmano Labs: http://hackteria.org/wiki/index.php/NanoŠmano_-_LifeSystem
[^6]: http://www.f18institut.org/ • http://www.cirkulacija2.org/
[^7]: http://www.dusseiller.ch/labs/
[^8]: http://www.kapelica.org/
[^9]: http://hackteria.org/
[^10]: http://hackteria.org/wiki/index.php/BioTehna_Lab_Infrastructure
[^11]: http://biotweaking.com/
[^12]: http://www.manilabiopunk.org/
[^13]: http://diybiosingapore.wordpress.com/
[^14]: http://www.biodesign.cc/
[^15]: http://lifepatch.org/
[^16]: http://biobricks.org/
[^17]: http://www.calafou.org/
[^18]: http://pechblenda.hotglue.me/